Aujourd’hui 03 mai 2023 marque les 30 ans de la proclamation de la journée internationale de la liberté de la presse. En effet, c’est en 1993, que le 03 Mai a été consacrée par l’Assemblée générale des Nations Unies comme une journée au cours de laquelle devrait être célébré les journalistes, eu égard à la contribution inestimable des médias au développement de l’humanité aux plans politique, socio-économique et culturel et aussi en vue de protéger les travailleurs des médias.
Au Burkina Faso, le Centre National de Presse Norbert Zongo célèbre cette journée depuis le 3 mai 1998, depuis sa création, soit depuis 25 ans. Aujourd’hui 3 mai 2023 marque donc également le 25e anniversaire de la création du Centre National de presse Norbert Zongo, cadre fédérateur des professionnels des médias au Burkina Faso. Je voudrais joindre ma voix à celle du Doyen Jean Claude Méda pour souhaiter joyeux anniversaire au Centre National de presse Norbert Zongo et partant à l’ensemble de la corporation, des plus vieux aux plus jeunes et avec une pensée particulière pour ceux d’entre nous qui ne sont plus de ce monde dont certains ont été d’une contribution inestimable à la naissance et au développement du Centre de presse.
Ce fut,
- 25 ans de combat acharné pour asseoir la liberté de la presse
- 25 ans pour l’élargissement des espaces de liberté d’expression,
- 25 ans de combat pour l’épanouissement du secteur des médias au Burkina Faso,
- 25 ans au service de la formation pour une presse professionnelle et de qualité.
- 25 ans de combat pour le renforcement de la démocratie et de l’Etat de droit,
- 25 ans de défense de la liberté d’expression et de presse sur le continent africain à travers le Festival international de la liberté d’expression et de presse, (FILEP) devenu un grand rendez de la presse africaine qui regroupe chaque deux ans à Ouagadougou, des centaines de professionnels des médias venus des quatre coins de l’Afrique.
Ce fut 25 ans de combats, laborieux, fastidieux, épiques mais passionnants, très passionnants. Les échecs, l’insuccès, la sueur, le sang ont fortifié le Centre national de Presse Norbert Zongo et ces acteurs. Que nos ainés qui ont porté sur les fonts baptismaux cette Maison acceptent par ma voix les remerciements et la reconnaissance des responsables actuels du Centre ainsi que l’ensemble de son personnel, tous les journalistes burkinabè et de tous ces partenaires.
Parmi beaucoup d’autres initiatives, le Centre national de Presse Norbert Zongo a fortement contribué également à l’avènement de la Cellule Norbert Zongo du journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest, CENOZO, qui abat un colossal travail en matière d’investigation journalistique avec des normes de qualité internationalement reconnues. Le Centre national de presse Norbert Zongo c’est aussi la promotion de l’Excellence en matière de pratique journalistique à travers notamment le Prix africain du journalisme d’investigation Norbert Zongo (PAJI-NZ) ouverts à toute l’Afrique.
Le Centre de presse Norbert Zongo c’est également la promotion du journalisme féminin avec l’institution du Prix de la meilleure femme journaliste baptisé depuis deux ans, Prix Marie Soleil Frère de la meilleure journaliste.
Merci à feu Norbert Zongo, Directeur de Publication de l’Indépendant, assassiné le 13 décembre 1998 parce que ses bourreaux croyaient fermement que c’était lui le problème de notre pays, et qu’il fallait le faire taire à jamais pour que tout baigne au pays de « si tu fais, on te fait et il n’y a rien ». Mais ils ont eu tort, car, comme une graine que l’on sème, qui germe et qui grandit, comme une termitière vivante, qui ajoute chaque jour de la terre à la terre, le journalisme a grandi au Burkina Faso, le professionnalisme a gagné du terrain, des hommes et des femmes refusent toujours de courber l’échine, continuent de battre le macadam pour que le sang versé de Norbert Zongo et ses compagnons agisse comme cette eau de pluie qui fait germer la plante de la liberté et qui nous impose de garder la flamme allumée. Nous espérons qu’à la faveur des 25 ans de ce crime crapuleux, les autorités judicaires du Burkina Faso pourront enfin nous dire si le dossier Norbert Zongo pourra être enfin jugé.
Merci également à feu Justin Coulibaly, ancien président du comité de pilotage du Centre national de presse Norbert Zongo, au regretté Pierre Dabiré, ancien Secrétaire général de l’AJB, fidèle au Centre de presse au point que le jour de son décès brusque, il avait passé la journée au Centre de presse.
Merci à Jean Claude Méda, à Cheriff Moumina Sy, à Boureima Ouédraogo, tous dirigeants du Centre de presse, ainsi qu’à tous ces hommes et femmes qui travaillent dans l’ombre afin que la lampe de l’espoir, de la justice et de la liberté ne soit jamais éteinte au Burkina Faso.
La célébration de ce 3 mai intervient dans un contexte particulièrement difficile pour le Burkina Faso. Notre pays est quasiment au bord du gouffre. Depuis plusieurs années que dure la guerre, des milliers de civils et militaires ont perdu la vie, des millions de déplacés internes ont fui les affres du terrorisme. Les couvres feux se sont succédés, l’état d’urgence a été décrété dans 11 des 13 régions du Burkina Faso, la mobilisation générale et la mise en garde ont été actionnées. La guerre fait toujours rage. Les journalistes sont aussi victimes et vivent des temps difficiles. Nous avons des parents déplacés internes, des frères et sœurs et des parents qui combattent le terrorisme aussi bien en tant que Force de défense et de sécurité qu’en tant que volontaires pour la défense de la patrie. Nous connaissons et nous vivons aussi leurs souffrances. Et nous compatissons à leurs souffrances. C’est le lieu pour nous de saluer la mémoire de toutes les victimes militaires et civiles tombées dans cette guerre terroriste.
Cela dit, à la faveur de rencontres que nous avons eues avec nos autorités, et à travers diverses déclarations, nous avons attiré leur attention sur les limites de l’approche qui consiste à opposer la lutte contre le terrorisme à la liberté d’expression et de presse. Nous avions toujours expliqué que dans un contexte de crise comme celui que connait le Burkina Faso, les journalistes ont encore un rôle plus important à jouer en informant juste, vrai et utile.
Les journalistes doivent faire preuve d’une grande affirmation de leur mission, de professionnalisme sans faille de sorte à participer à la recherche des solutions aux difficultés que vit notre pays. Cela voudrait dire que les journalistes ne peuvent pas fermer les yeux sur la conduite du pays au risque de démissionner tout simplement de leurs missions et responsabilités. Notre devoir nous impose d’exiger de nos gouvernants encore plus de transparence et de redevabilité. Hélas, nous avons été incompris.
Il est largement établi que le secteur de la sécurité souffre de beaucoup de maux et de lacunes qui, pendant longtemps, n’ont pas permis à notre Armée de faire face conséquemment à son devoir régalien de défense de notre territoire face aux terroristes et autres menaces extérieures.
Aussi, les journalistes doivent en ces moments critiques de l’histoire de notre pays, pousser à son niveau le plus élevé le professionnalisme, y compris l’exigence de vérité, d’honnêteté et de pluralité qui constituent des valeurs cardinales de cette profession.
Pour peu que l’opinion nationale et les autorités veuillent reconnaitre le rôle joué par la presse burkinabè dans le cheminement de notre nation et particulièrement dans des moments critiques de son histoire, il est évident que c’est un acteur qui ne s’est jamais débiné mais au contraire, elle peut se dire fière de ce qu’elle a pu apporter comme contribution.
Dans un pays comme le nôtre, la presse a souvent évité tout simplement que les fondements qui font de nous une nation, un peuple, ne soient érodés et conduisent à l’effondrement de l’édifice.
Comme toujours, la presse a usé de sa mission d’alerte dès les premiers moments de cette crise sécuritaire. Malheureusement, elle n’a pas été entendue.
Pendant ces huit années, la presse a été au cœur de ce combat qui a empêché que notre pays ne sombre littéralement. Nous avons à diverses reprises demandé à nos autorités de fuir le saupoudrage, de travailler dans la transparence, de se contenter de la vérité, de rendre compte régulièrement aux citoyens, nous leur avons fortement suggéré de travailler à obtenir la confiance des populations, d’éviter les exécutions sommaires et extra-judiciaires, et d’équiper fortement et qualitativement nos FDS. Hélas.
Aujourd’hui, certains de nos concitoyens, y compris des autorités, pour des desseins que nous ignorons pour l’instant, accusent les médias de mettre leurs plumes, leurs caméras et leurs micros au service des terroristes. Sacrilège ! Ceux qui tiennent ce genre de discours ont un problème avec la vérité.
Leurs relais, des activistes de la société civile et des réseaux sociaux, des analystes en tous genres, des experts et des intellectuels de service, chauffés à blanc se font les apôtres de la diabolisation des médias et des journalistes. Certains vont jusqu’à appeler à guillotiner les journalistes qui pensent différemment d’eux.
A visage découvert, sans crainte ni respect pour l’autorité judiciaire ou administrative, soit par défiance ou par complicité tacite, ils se sont mués en régulateur de la presse, en censeurs des journalistes, et en justicier pour distribuer les bons points aux journalistes dits « patriotes » et les mauvais points aux journalistes dits « apatrides ». Encore faut-il qu’ils comprennent le sens réel du terme « apatride ».
On a assisté et on assiste encore à des appels incessants aux meurtres de journalistes et de leaders d’opinion, des cabales montées de toute pièce pour salir la réputation de certains de nos confrères.
Ces fatwas sur la presse burkinabè s’inscrivent dans un plan machiavélique de diabolisation du travail des journalistes, dont le seul malheur est de refuser le bâillonnement, l’instrumentalisation, la dictée de la pensée unique et la déification de l’autorité.
Outre les velléités d’immixtion, d’intimidation et de contrôle de la presse nationale publique et privée, les autorités ont ainsi décidé de suspendre des médias internationaux RFI et France 24 et d’expulser les correspondants de Libération et Le Monde.
Faut-il le rappeler, les ennemis du Burkina Faso et de tous les Burkinabè ce sont bien les terroristes et le terrorisme. Les autorités gagneraient à recentrer tous les efforts sur cet objectif qui a été l’argument principal pour justifier les coups d’Etat du 24 janvier et du 30 septembre 2022.
En tout état de cause, s’en prendre aux journalistes pour espérer gagner la guerre contre le terrorisme, c’est se bercer d’illusion comme qui casserait le thermomètre en pensant baisser la fièvre. Non, le thermomètre n’est que l’indicateur, il n’est jamais la cause de la fièvre.
Avec beaucoup de responsabilité et de professionnalisme, la presse burkinabè fournit des photographies de la situation réelle de notre pays (quand c’est bien tout comme quand c’est mauvais) et interpelle les autorités afin que les politiques et le niveau d’engagement des forces vives soient à la mesure des défis.
Ne nous voilons pas la face, le musellement de la presse ne crée pas la sécurité, il génère tout au plus le sentiment de sécurité, exactement à l’image de l’autruche qui se croirait en sécurité par le simple fait de se vautrer la tête dans un tas de sable.
Les autorités et leurs soutiens inconditionnels doivent se rendre à l’évidence que la répression de la presse n’a jamais été une solution. A propos, le philosophe et journaliste Albert Camus disait « La Presse quand elle est libre, elle peut être bonne ou mauvaise mais quand elle ne l’est pas, assurément elle ne peut être que mauvaise ». Il faut se garder de fabriquer une mauvaise presse pour le Burkina Faso.
C’est sur ces notes que je vous souhaite à tous une belle fête de 3 mai.
Vive la liberté d’expression et de la presse !
N’an Lara an Sara !