Aussitôt dit, aussitôt fait. Ainsi, le président de la transition le capitaine Ibrahim Traoré à joint l’acte à la parole en faisant enrôler de force Boukari Ouédraogo, président de l’Appel de Kaya au sein des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) lors de son séjour kayalais des 22 et 23 mars 2023. Il nous revient, par ailleurs, qu’il en serait de même d’Issiaka Ouédraogo président de la Coalition de convergence patriotique (CCP) et de Hamidou Bandé, président des Rugga du Burkina. Il paraît, en outre, que la liste des leaders de la société civile, conscrits de cette manière va s’allonger dans les jours à venir. Pour Boukari Ouédraogo, c’est un fait dans la mesure où il a été publiquement enrôlé et les médias s’en sont fait l’écho. Cependant, ce n’est pas le cas des autres qui relève de la rumeur (même si pour le président des rugga son enlèvement est confirmé par son entourage sans que l’on sache qui l’a fait et avec quel dessein) étant donné qu’aucune information officielle n’a été communiquée à ce propos. Nous en faisons cas parce que nos efforts pour infirmer ou confirmer ce que nous avons appris se sont révélés vains. Cela étant, dans le cas de Boukari Ouédraogo, le président Traoré, il l’a promis et il l’a fait séance tenante. Comme les Anglo-Saxons l’auraient dit, le président Traoré a donc dit « le faire » et fait « le dire ». C’est, par conséquent un acte à saluer, la mise en œuvre d’un engagement étant une des valeurs cardinales dans nos sociétés et en démocratie.
Une expression conceptuelle émergente : les « Contraints à la défense de la patrie » (CDP)
Si, en théorie, faire ce qu’on a promis de réaliser et si dire ce que l’on fera sont des valeurs en termes de respect de la parole donnée et de transparence dans un Etat de droit, les citoyens que nous sommes sont autorisés à se demander si s’engager à enrôler les voix « discordantes » « antipatriotiques » et « apatrides » et le faire séance tenante sont, au-delà du principe, un acte digne de figurer sur l’échelle des valeurs humaines en général et burkinabè en particulier. Il est permis d’en douter pour les raisons suivantes : être VDP est encadré par l’article 2 de la loi n° 028-2022/ALT du 22 novembre 2022 instituant les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) qui dispose que « Le VDP est une personne physique de nationalité burkinabè…servant de façon volontaire les intérêts sécuritaires du village, de la commune ou de toute autre localité sur le territoire national, en vertu d’un contrat avec l’Etat. » L’article 5 est plus formel : « Le VDP est recruté sur la base du volontariat. » ; être VDP procède donc, en droit (au regard de la loi y relative) et en fait ( au vu de ce que nous avons constaté jusqu’à présent), d’un acte volontaire ; se faire enrôler étant donc un acte volontaire, il sous-tend, par l’exemple, la promotion (le fait d’accepter soi-même, de faire savoir aux autres, de les amener à accepter et, à leur tour, de faire savoir et ainsi de suite) du statut de VDP ; être dans les rangs des VDP ne signifie pas obligatoirement combattre avec une arme de guerre. En effet, sans porter la tenue militaire, on peut servir dans le renseignement, assurer la liaison entre les forces combattantes, etc.
En plus des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), y a-t-il, en conséquence, comme des « Contraints à la défense de la patrie » (CDP) ? Nous sommes tentés de répondre par l’affirmative. La décision de faire enrôler M. Boukari Ouédraogo et la mise en œuvre séance tenante de cette décision conduit à la conclusion suivante : en plus de ce que la loi dit « Si vous critiquez la conduite des opérations militaires ou la gouvernance du MPSR2, vous serez enrôlés de force comme VDP ». Est-ce à dire que la parole présidentielle est sur un pied d’égalité que la loi ? De plus, il est permis de croire que ceux qui sont enrôlés selon cette volonté seront formés militairement à l’instar des autres VDP et prendront part aux batailles. Ce que l’on sait moins, c’est s’ils passeront une visite médicale pour que l’on s’assure qu’ils sont aptes pour accomplir les tâches qui seront les leurs. Difficile aussi de savoir ce qu’on fera d’eux. S’ils ne sont pas aptes, qu’adviendra-t-il d’eux étant donné la sacralité et la solennité de la parole présidentielle et le fait qu’ils sont enrôlés pour l’exemple afin de dissuader ceux qui tenteraient pareilles aventures. Espérons qu’ils rejoindront tranquillement leurs domiciles.
Autre chose qui les attend peut-être au sein des VDP : étant présentés comme des traîtres à la cause de la nation, quel traitement leur sera-t-il réservé aux sein des unités combattantes ? Ceci est d’autant plus pertinent comme interrogation que dans l’opinion (rue, médias sociaux et réseaux sociaux), il y a des Burkinabè qui souhaitent qu’ils ne reviennent jamais vivants du front et estiment qu’ils ne méritent même pas d’être des Burkinabè.
Y a-t-il de la plus-value à enrôler un citoyen de force comme VDP ?
Mise à part l’exemplarité à caution assimilable à une sanction dont les intéressés nieront la légitimité ; exception faite de la peur que les leaders d’opinion critiques vont éprouver concernant l’expression franche de leurs convictions ; et au-delà du fait que les rangs des VDP pourraient croître en nombre si les leaders d’opinion ont le culot de continuer la critique, la plus-value de ceux qu’on peut qualifier de « Contraints à la défense de la patrie » (CDP) risque d’être plutôt une moins-value. A l’appui de cette perception des réalités, les éléments suivants: 1. Rejoindre les rangs des VDP est certes une obligation mais une obligation morale et non de type manu militari ; 2. Enrôler de force les voix dites discordantes peut laisser croire à certains VDP, même si ce n’est pas nécessairement vrai, qu’ils sont les mal aimés de la République; 3. Ne pas s’assurer de la santé et des aptitudes physiques des « CDP » avant de les enrôler peut être lourd de danger ; 4. Faire fi de nos propres textes et des outils internationaux (ratifiés par le Burkina) qui protègent et défendent les défenseurs des droits humains d’une part et d’autre part promeuvent leurs activités peut être en contradiction avec nos engagements à l’échelle internationale.
Conclusion, la probabilité que cette façon d’enrôler des VDP (qui sont en fait des « CDP ») enregistre une moins-value est bien plus forte que l’inverse. En termes plus simples, le gain politique et militaire que l’on peut tirer de ce type d’enrôlement pourrait être bien insignifiant par rapport aux efforts consentis aux plans militaire, politique, médiatique ; avec malheureusement le risque de conforter voire d’encourager ceux qui, au nom du panafricanisme, de l’anti-impérialisme, du syncrétisme politico-religieux promettent et/ou suggèrent de casser du terroriste interne (à savoir les esprits critiques) et à brûler leurs biens. Il faut espérer que ceci n’est qu’une vue de l’esprit et que nous nous trompons.
La rédaction