Lettre de l’éditeur/Météo hivernale sur les libertés au Burkina Faso : mais où sont donc passées les organisations de médias et de défense des droits humains ?

« La liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas » affirme Guy Bedos. Si donc ne pas se servir de la liberté use la liberté, son usage doit alors être un impératif. Elle est également selon Mathieu Laine « la valeur première et le corollaire absolu de l’être humain » car elle a « comme lui [NDLR : l’être humain], un passé, un présent et un avenir… ». La naissance du journal dont vous parcourez les lignes de la lettre de l’éditeur est la résultante du fait que ses promoteurs font leurs les nobles réflexions de G. Bedos et de M. Laine. C’est d’ailleurs pourquoi le thème de ladite lettre pose la problématique des libertés telles qu’elles sont conçues et pratiquées aujourd’hui au Burkina par les pouvoirs publics et les citoyens.

Du début des années 1970 qui a vu naître les journaux quotidiens qu’étaient Kibaré (1970) de Boniface Kaboré, Le Soleil de Haute-Volta (1971) de Zangbé Mamadou Ouédraogo et L’Observateur (1973) d’Edouard Ouédraogo, (en plus des organes de presse d’État qu’étaient le Bulletin quotidien d’information de Haute-Volta créé en 1957, la radio et l’hebdomadaire Carrefour africain nés en 1959 et la télévision en 1963) jusqu’en novembre 2022 marqué par l’existence de plusieurs centaines de moyens d’information (journaux papier, radios, télévisions, journaux en ligne, web-télévisions), la Haute-Volta d’abord et le Burkina Faso ensuite ont vécu, à l’exception de l’épisode de la Révolution démocratique et populaire (04/08/1983-15/10/1987), des périodes pendant lesquelles, même si au début elles n’ont pas été toutes des âges d’or de la presse en termes de foisonnement des médias, constituaient tout de même des références dans le domaine de la liberté de ton et de la multiplicité des lignes éditoriales dont jouissaient les hommes et femmes de média.

Les Burkinabè doivent cela aux respectables pionniers que sont les personnalités déjà citées et également à Boureima Jérémie Sigué du journal Le Pays et de Laabli Moustapha Thiombiano de Horizon FM au début des années 1990. Une mention spéciale doit cependant être faite à feu Norbert Zongo dit Henri Sebgo de L’Indépendant qui a payé (de la plus horrible des manières) de sa vie son engagement pour la liberté d’opinion, d’expression et de presse pour que nous autres, nous soyons libres ou au moins plus libres à travers nos opinions, notre expression et les médias.

Au-delà des individus, les organisations (patronat du secteur des médias, syndicats, associations, etc.) du monde de l’information et de la communication ont contribué fortement à l’élargissement des espaces de liberté.

 

Un aperçu historique de la contribution des organisations aux progrès des libertés

 

Mais en plus de cela, il convient d’y ajouter la part contributive décisive des syndicats depuis 1960 dans la promotion, la défense et la protection des libertés individuelles et collectives. Les exemples ne manquent pas. Le soulèvement populaire conduit, surtout par les syndicats dirigés par Joseph Ouédraogo dit Jo Wéder, le 03 janvier 1966, qui a eu raison de Maurice Yaméogo, président de la Ire République est suffisamment illustratif. Ce dernier avait entrepris d’imposer au peuple, à travers les agents de l’Etat et aux établissements scolaires privés subventionnés, une politique d’austérité alors que lui-même et son entourage continuaient de vivre dans des excentricités matérielles inopportunes. Ce fut également le cas sous la IIIe République présidée par Sangoulé Aboubacar Lamizana. Dans un environnement économique difficile empiré par les effets des sécheresses, le gouvernement faisait aussi face à la contestation du mouvement syndical marquée par deux (02) mois de grève des personnels enseignant et de la santé. Le 25 novembre, il est renversé par un coup d’État conçu et exécuté par des militaires réunis au sein du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN).

C’était le début d’une nouvelle ère d’Etats d’exception jusqu’en 1991 ponctuée par la gouvernance du Conseil de salut du peuple (CSP) de Jean-Baptiste Ouédraogo (07 novembre 1982-04 août 1983), celles du Conseil national de la révolution (04 août 1983-15 octobre 1987) de Thomas Sankara et du Front populaire (15 octobre 1987-1er juin 1991) de Blaise Compaoré.  La fin des années 1980 et le début des années 1990 ayant été marquée par la chute du Mur de Berlin (09 novembre 1989) signifiant la fin de la guerre froide et le discours de Baule (20 juin 1990) du président français d’alors François Mitterrand qui a fait de l’adoption du modèle d’Etat de droit libéral et démocratique l’une des conditions essentielles pour bénéficier de l’aide au développement, tous les pays subsahariens  dont le Burkina Faso naturellement se sont engagés dans des transitions démocratiques. Au niveau interne, des luttes avaient été déjà déclenchées dans notre pays par des organisations de la société civile qui ont bravé la rugosité des Etats d’exception et qui ont, à partir de 1991 avec la transition politique, accentué la cadence du mouvement démocratique même si nombre d’entre elles étaient des vitrines légales de formations politiques plus ou moins clandestines.

 

Le premier printemps des libertés et des médias depuis plus de dix (10) ans

 

Après une dizaine d’années d’Etat d’exception (25 novembre 1980-1er juin 1991), ces organisations, essentiellement de gauche, parmi lesquelles la Confédération syndicale voltaïque (CSV) dirigée par Soumane Touré, la Ligue patriotique pour le développement (LIPAD) de feu Adama Touré, l’Organisation communiste voltaïque (OCV) dont les dirigeants étaient un ensemble nébuleux, le Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) que l’on disait être présidé par Drissa Touré, la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGTB) dont Tolé Sagnon était le secrétaire général,  le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP) du temps où Me Halidou Ouédraogo en était le dirigeant, l’Union générale des étudiants voltaïques (UGEV) devenue plus tard l’Union générale des étudiants burkinabè (UGEB) du fait du changement du nom du pays ; ces organisations, disions-nous, se sont illustrées par leur ardeur dans la lutte pour une gouvernance démocratique et économique exemplaire.

Cette longue tradition de lutte a été couronnée les 30 et 31 octobre 2014 par l’insurrection dont la cause principale était de contrer la volonté du président Blaise Compaoré de réviser l’article 37 de la constitution afin de se présenter à l’élection présidentielle suivante après vingt-sept (27) ans au pouvoir. Sous la transition présidée par Michel Kafando, pendant la présidence de Roch Marc Christian Kaboré et avec le Mouvement patriotique pour le salut et la restauration dans son premier format (MPSR1) de Paul-Henri Sandaogo Damiba, il y a eu certes quelques fois des velléités d’atteintes aux libertés individuelles et collectives mais pour l’essentiel, elles sont restées au stade des intentions.

 

Le MPSR2 ou le chant de cygne de la liberté d’expression et de presse

 

Par contre avec le MPSR2 d’Ibrahim Traoré, non seulement les intentions sont plus affirmées que par le passé mais pire, la pratique dépasse l’entendement. Au plan national, on peut citer les menaces de mort et/ou de destruction de biens proférées (à visage découvert) sur les médias sociaux et les réseaux sociaux contre les leaders d’opinion (journalistes, cyber-activistes, lanceurs d’alertes, syndicalistes, défenseurs des droits humains, etc.) critiques vis-à-vis de la gouvernance sécuritaire et économique du président I. Traoré. Au niveau international, les suspensions des émissions de la Radio France Internationale (RFI) et de la télévision France24 et l’expulsion des correspondantes des quotidiens français Le Monde (Sophie Douce) et Libération (Agnès Faivre) sont des manifestations de la détermination du régime à faire taire toute voix discordante (et même différente) et à mettre à l’abri des yeux extérieurs les comportements attentatoires aux libertés fondamentales des citoyens.

Malheureusement face à cette situation, la réaction des institutions républicaines compétentes (justice, police, gendarmerie…) est demeurée indolente et celle du gouvernement équivoque ; d’où la crédibilité des hypothèses selon lesquelles les sécurocrates du MPSR2 sont ceux-là même qui, dans l’ombre ou dans la pénombre, échafaudent ces menaces et trouvent des bras opérationnels laïcs, religieux et prétendus acteurs de la société civile pour les mettre en œuvre. Heureusement que jusqu’à présent, au-delà de ces menaces, les individus en question ne sont pas encore passés à l’acte mais pour combien de temps ces derniers que l’on incite réellement ou par un silence complice vont-ils se contenter d’émettre des intimidations verbales ? Question d’autant pertinente que les condamnations judiciaires de quelques-uns d’entre eux n’ont pas suffi à les dissuader. De plus, dans cette ambiance d’impunité, des loups solitaires ou des groupes d’individus peuvent, sans l’ordre de qui que ce soit, sortir du lot et perpétrer des crimes en étant persuadés qu’ils rendent service à leur mentor ; or, que nenni ! Enfin, la sorcellerie de la bouche, comme on le dit au Burkina Faso, est pire que la sorcellerie elle-même. Autrement dit, prévenir quelqu’un que l’on lui mangera l’âme peut causer plus de dommage que de passer à l’acte à cause de la psychose due au pouvoir de sujétion que cela peut engendrer chez la personne concernée et conduire à sa mort ; laquelle mort est la résultante desdites menaces pas le fait de quelque action mystique ou occulte que ce soit.

 

Les vraies menaces sur les libertés individuelles et collectives et notamment la liberté de presse et d’opinion

 

Cependant, la plus grande menace qui plane sur les libertés individuelles et collectives, ce sont moins les puissances politiques, économiques et religieuses du moment, appuyés par leurs hommes de main, que la sclérose intellectuelle et la passivité suicidaire des organisations professionnelles des médias, des mouvements de défense des droits humains et des formations politiques que l’on a connus plus combattifs face à des régimes politiques dont l’enracinement était bien plus profond que celui du MPSR2. Si nos devanciers ont pu s’opposer victorieusement à Maurice Yaméogo et certains d’entre nous à Sangoulé Aboubacar Lamizana, Saye Zerbo, Jean-Baptiste Ouédraogo, Thomas Sankara, Blaise Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré et Paul-Henri Sandaogo Damiba, ce n’est pas face au MPSR2 qu’il faut abdiquer. En parlant d’opposition, il y a lieu de comprendre qu’il ne s’agit pas nécessairement de militer pour un changement de régime mais plutôt et surtout d’amener les puissants du moment à renoncer à certaines de leurs orientations politiques qui ne sont pas en adéquation avec l’intérêt général.

On fait alors le constat malheureusement que mises à part quelques déclarations sporadiques du MBDHP (du reste, produites par les sections régionales) et deux (02) autres rendues publiques par les organisations professionnelles, c’est le silence radio total ou presque. Renonciation à la défense des libertés ? Peur de la répression ? Compromission avec certaines sphères des pouvoirs politiques, économiques et religieux ? Nul ne saurait, pour le moment, répondre à ces interrogations. Une chose est cependant sûre : cette attitude ne fait honneur ni à nos devanciers, ni à ce que nous étions tous dans un passé récent, marqué par une combattivité saluée par la planète médiatique toute entière, ni enfin à la mémoire de Norbert Zongo dont on peut dire que le sacrifice suprême aura été vain ; surtout si le MPSR2 parvenait à ses fins en imposer le retour de la pensée unique. D’autres professionnels des médias ont également mis fin à leurs carrières qui étaient visiblement prometteuses et ne continuent pas la lutte pour laquelle Henri Sebgo a été trucidé. On est tenté de dire alors que le jeu n’en valait donc pas la chandelle. D’abord, parce que défendre des valeurs cardinales de la société est une affaire de principe personnel avant celui de la collectivité toute entière ; même s’il est fortement souhaitable que cette collectivité s’y retrouve et entreprenne la même lutte. Ensuite, reprendre le flambeau de la lutte d’un citoyen qui a donné sa vie en échange d’une plus grande liberté est également une valeur aussi bien individuelle que collective que nous devons épouser en théorie et en pratique. L’apathie dans laquelle semblent se complaire, pour le moment en tout cas, les organisations professionnelles des médias et les mouvements des droits humains n’est ni compréhensible ni explicable.

 

La guerre ne peut nullement justifiée une météo hivernale sur les libertés d’expression et de presse ; bien au contraire !

 

Certaines institutions comme le Conseil supérieur de la communication (CSC) dans sa déclaration du 29 mars dernier, jugent qu’il « est impérieux que l’exercice de la liberté d’expression, dans ce contexte difficile, se fasse dans le respect des textes de notre pays et dans le souci de préserver l’indispensable union nationale ». Ce passage apparemment anodin de la dernière déclaration de l’institution indépendante publique chargée de la régulation des médias a l’air de faire un procès d’intentions aux organes d’information s’inscrivant ainsi dans la logique du ministre chargé de la communication, du Premier ministre, du président de la transition et des experts/spécialistes de l’information et de la communication du MPSR2. Dès lors, comment voulez-vous, avec l’interprétation de ces propos dans nos langues nationales, que ceux qui sont lettrés ou non et qui soutiennent inconditionnellement le MPSR2 n’intériorisent pas cela comme une façon de remonter avec raison les bretelles d’une presse jugée apatride et de mèche avant des puissances ennemies ? Et pourtant, encore une fois, les médias burkinabè font partie des réussites et de la fierté du continent africain et particulièrement de sa partie subsaharienne. Bon an mal an, leur place oscille entre la 5e et la 10e place. Certes, les thuriféraires du MPSR2 diront que ce sont des critères impérialistes aux notations tout aussi impérialistes mais si le régime politique actuel ne change pas le contenu des programmes des institutions de formation en communication et journalisme pour les adapter à sa vision, ce sont ces critères et notations qui auront toujours pignon sur rue. Même la guerre contre le terrorisme qui est exhibée pour exiger le soutien, sans hésitation ni murmure, des médias aux opérations militaires de reconquête du territoire, ne peut expliquer, encore moins justifier cette volonté et ces pratiques faisant peser des temps hivernaux sur des médias après les périodes printanières consécutives à l’assassinat de Norbert Zongo et à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

C’est justement parce que c’est pendant les guerres que les protagonistes sont le plus exposés aux tentations les plus cruelles que le droit de la guerre a été conçu et que la plupart des pays du monde, dont le Burkina, ont internalisé dans leur législation. Par droit de la guerre, il faut entendre, en droit international, ces principes et ces règles qui ont deux objectifs : protéger les personnes qui ne participent pas ou qui ne prennent plus part aux hostilités (blessés, prisonniers militaires, populations civiles) et limiter les méthodes et les moyens de faire la guerre. La situation de conflit ou de guerre ne supprime pas, de ce fait, la nécessité de la diffusion d’informations adéquates par les médias ; bien au contraire, elle la rend plus impérieuse encore.

Nous fondant donc sur cela, nous souvenant du rôle avant-gardiste joué par les médias et les organisations de défense des droits humains considérés individuellement et collectivement dans la défense, la promotion et la protection des libertés fondamentales des Burkinabè depuis des décennies et prenant en compte les traités et des conventions internationaux dont notre pays est Etat partie, il n’est ni acceptable, ni envisageable, ni admissible que les multiples actes posés par des gouvernants et leurs soutiens restent sans dénonciation par déclaration publique ou plainte auprès des tribunaux compétents.

 

Libertebf.com entend donc, pour sa part, s’inscrire parmi ceux qui, individuellement ou collectivement, ont œuvré et œuvrent encore, chacun selon ses méthodes de lutte, pour fortifier notre peuple courageux dans sa quête inlassable d’un mieux-être moral, social et matériel en phase avec les valeurs humaines. En cela réside toute la quintessence de notre devise : ‘’ Il n’y a point d’humanité sans liberté !’’

 

Libertebf.com

Wendmanegre

Wendmanegre

One thought on “Lettre de l’éditeur/Météo hivernale sur les libertés au Burkina Faso : mais où sont donc passées les organisations de médias et de défense des droits humains ?

  1. Analyse bien documentée.
    Questions légitimes sur le mutisme des organisations sus- citées.
    Décision courageuse et louable de créer libertebf.com.

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