Suite à la publication sur les réseaux sociaux de messages audio appelant à brûler le palais du Moogho Naaba Baongho, la chronique de la cité a fonctionné au rythme de ces faits : incompréhension de ce dernier sur les raisons de la diffusion de ces messages (surtout que c’est la deuxième fois après ceux d’octobre 2022), désarroi dans l’entourage de ce haut dignitaire traditionnel, émoi au sein de l’opinion publique, programmation d’une conférence de presse par les notables de cette légitimité coutumière… S’en sont suivies des actions pour identifier les présumés auteurs de ces messages, initiées par la justice à travers le procureur du Faso. Il en a résulté des auditions et des garde-à-vue de journalistes et de leaders de la société civile que sont Abdoul Karim Baguian dit Lota, Boukary Conombo, Désiré Guinko, Lookmann Sawadogo, Marcel Tankoano, Nièzo Alain Traoré dit Alain Alain et Pascal Zaïda. Toutes ces procédures ont débouché sur des mandats de dépôt à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). Le dénominateur commun de toutes ces personnes est leur attitude critique vis-à-vis de la gouvernance du MPSR2. Elles étaient dans la ligne de mire du pouvoir depuis un certain temps au regard des déclarations qu’elles rendaient publiques, soit individuellement soit par le biais des organisations auxquelles elles appartiennent. Dès lors, il était presque certain que tôt ou tard (mais plus tôt que tard en fait), les leviers de l’appareil judiciaire seraient actionnés contre eux pour trois (03) raisons au moins : i) les châtier pour leur témérité, ii) les décourager à l’avenir iii) et dissuader ceux qui seraient tentés d’exprimer des opinions contraires aux certitudes du moment. Le procès programmé pour le 03 juin 2023 nous permettra d’en savoir davantage.
Que des citoyens aient maille à partir avec la justice parce qu’il leur est reproché des faits punis par la loi est chose normale. Malheureusement plus que jamais au Burkina Faso, tous les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne s’agissant de la justice. Pour corroborer cette conviction, il y a eu des cas (au moins) tout aussi graves qui n’ont suscité aucun intérêt de la part de la justice. Quand, en début octobre 2022, des messages WhatsApp audio accusaient vertement le Moogho Naaba Baongho de ne pas apporter son soutien au capitaine Ibrahim Traoré parce qu’il est un non-Moaga et dont les auteurs menaçaient de saccager son palais, où était la justice ? S’est-elle intéressée ou s’intéresse-t-elle à ces infractions flagrantes de la loi ? On peut répondre que non et présumer que c’est parce que les auteurs de ces messages audio sont favorables au président I. Traoré et que, pour ce faire, ils bénéficient d’une totale impunité. « Dis-moi donc de qui tu es proche et je t’assurerai que la justice ne t’inquiétera point ! » pour plagier un vieil adage français. En outre, combien de messages vidéo et audio violents et donc susceptibles de troubler l’ordre public ont été réalisés par des responsables religieux et publiés sur les réseaux sociaux sans que ça n’inquiète les autorités judiciaires ? Y a-t-il pire « pire mise en danger de la vie d’autrui » (un des chefs d’accusation contre les sept personnes) que cela ? Certainement que non ! A la réflexion, cela n’est guère surprenant puisque la loi est, en fait, l’expression du rapport de forces dans l’arène sociale à un moment donné de l’histoire des peuples et, subséquemment, son interprétation l’est tout aussi. Mais il faut la manier intelligemment.
Un petit retour sur les faits pour servir de repère
Le procureur du Faso, dans son communiqué, dit ceci : « Dans la nuit du 02 au 03 mai 2023, des messages audios publiés sur les réseaux sociaux appelaient à un rassemblement à l’effet de brûler le palais du Mogho Naaba. … Le message qui a conduit à l’ouverture de l’enquête était censé émaner des partisans du Chef de l’Etat et dépeignait le Mogho Naaba comme un opposant à la transition. Deux autres messages audios, censés émaner cette fois d’inconditionnels défenseurs du Mogho Naaba appelaient les populations à sortir massivement pour s’opposer vaillamment aux desseins de ceux qui veulent s’en prendre au palais du monarque, tout en annonçant l’imminence de l’attaque.
Il ressort des premiers éléments de l’enquête (qui est toujours en cours), que ces différents messages audio, contrairement à ce qu’ils peuvent laisser croire, émaneraient d’une même source. Leurs auteurs auraient été approchés pour l’enregistrement et la diffusion de ces audio, le tout contre rémunération. »
Autrement dit, il est reproché aux mis en cause d’avoir fait circuler, à travers les réseaux sociaux, les messages en question pour inciter ceux qui idolâtrent le capitaine I. Traoré à se rendre au palais du Moogho Naaba. Là, au prétexte qu’ils seraient venus saccager le palais, les sept (07) auraient mobilisé les populations pour les attaquer. Bien entendu, aucun de ces derniers ne s’est senti concerné par de telles accusations.
Des auditions à la va-vite et des charges qui laissent pantois
A la suite d’auditions à caution tant elles sont allées à la vitesse grand V et au sujet desquelles il ne fallait pas se faire trop d’illusions concernant les conclusions, le couperet du procureur du Faso est tombé le jeudi 25 mai à travers les mandats de dépôt délivrés contre toutes les sept (07) personnes accusées :
1 / d’incitation à attroupement armé ou non armé ;
2 / d’atteinte volontaire à l’intégrité physique et à la vie de personnes ;
3 / de destruction de biens ;
4 / d’acte de vandalisme ;
5 / de corruption ;
6 / de divulgation de fausses informations ;
7 / d’association de malfaiteurs ;
8 /de mise en danger de la personne d’autrui ;
9 / de complicité par la non dénonciation de délit.
En attendant que des preuves formelles viennent étayer ces charges, il est permis de s’interroger sur les charges 2, 3, 4, 5 et 7 qui interloquent à l’évidence. En effet, pour le peu que nous en savons, les charges 2, 3 et 4 ressemblent fort à des procès d’intention à moins de partir du fait que l’intention (si tant est qu’elle a existé) vaut l’acte. Dans cette hypothèse, le procureur du Faso gagnerait, pour le bien de la collectivité politique que nous constituons, à investir les réseaux sociaux et les médias sociaux pour débusquer et punir tous les soutiens du régime qui, à longueur de journée, de semaine et de mois, menacent tous ceux qui pensent autrement qu’eux. Non seulement, ils sont des milliers, voire des centaines de milliers mais leurs discours sont incendiaires. Malgré cela, les institutions de l’Etat sont indifférentes. Et ce n’est pas l’arrestation de Mohamed Sinon et la condamnation de Nestor Podassé (s’apparentant à de la diversion) qui feront oublier le fait que la violence des « irissi », des prétendus néo-panafricanistes, et des « gardes du corps » du capitaine Traoré qui bivouaquent à la place des Nations-Unies est occultée et que ces derniers ne se contentent pas d’inciter à des attroupements armés ou non armés mais organisent ce type d’attroupement sans aucune interdiction, n’en parlons pas de poursuite judiciaire. Quant à la charge 7 (à savoir l’association de malfaiteurs), elle frise l’injure notamment à l’endroit des deux communicateurs qui ne défendent que leurs opinions. Concernant les charges 1, 6, 8 et 9, on est bien curieux de savoir ce qui se dira au procès.
La victoire sans effort aucun des Sept
Le 03 juin 2023, ils seront peut-être condamnés (à des peines fermes ou avec sursis) ou relaxés par le tribunal. Dans tous les cas, la victoire des sept (07) accusés est déjà un fait ; non pas sur le plan judiciaire mais sur le terrain de la morale, de la légitimité et de la noblesse de leur combat. D’abord, parce que l’action du procureur confirme la théorie des deux poids, deux mesures de son approche de la question. Ce n’est donc pas la justice qui gouverne sa démarche mais le rapport de forces actuel au sein de la société. Ensuite, on peut arrêter, juger, condamner et emprisonner les humains mais on ne peut pas en faire autant de leurs idées qui restent leur propriété ad vitam aeternam. Enfin, que les partisans de Ib ne se méprennent pas : leur excitation puérile que certains communicants du MPSR2 considèrent comme l’opinion dominante (en différenciant celle-ci de l’opinion publique) est en fait l’expression d’une agitation et d’une propagande dignes d’une minorité à comportement majoritaire qui met maladroitement en œuvre une stratégie de communication fondée sur un contenant au maigre contenu et vouée tôt ou tard à montrer ses limites ; si ce n’est déjà le cas avec la lutte contre le terrorisme.
A moins qu’un sondage rigoureux vienne le confirmer, le silence apparent de la majorité des Burkinabè face à ces dérives n’est pas une adhésion aux atteintes aux droits humains. Le fait de consentir à l’effort de guerre n’est pas non plus un indicateur pertinent pour conclure que les Burkinabè donnent au MPSR2 la communion sans confession dans l’administration de la justice. Certains le font pour soutenir l’Etat, pas le gouvernement ; d’autres par intérêt sur le plan économique ou politique ; ils s’en trouvent aussi qui sont mus par la peur ou par le « qu’en dira-t-on ? ». Considérer toutes ces personnes comme des soutiens inconditionnels peut conduire à des lendemains qui déchantent. A bon entendeur…
Fatogoma OUATTARA