Recevant Mme Fam Mbow, représentante résidente de la Banque mondiale au Burkina le 13 mars dernier, Apollinaire Kyélem, le chef du gouvernement, a dit que pour lui « il y a deux types de réconciliation, …la réconciliation par le haut » et « la réconciliation à la base » équivalant à un « arrangement entre les hommes politiques pour sauver leurs intérêts ». « Nous n’appelons pas cela une réconciliation » a-t-il souligné avant de dire que « Ce que nous appelons réconciliation, c’est la réconciliation par la base » à travers le fait « d’amener le peuple à se réconcilier avec lui-même et avec ses autorités ». Pour lui, « Les troubles que nous connaissons sont dus à une fausse réconciliation parce qu’il y a des gens au sommet qui gèrent le destin de millions de personnes, sans eux ».
Au regard de cela, on peut affirmer que la position du Premier ministre par rapport à la réconciliation est à l’opposé du contenu de la Stratégie nationale de réconciliation qui est, jusqu’à ce qu’elle soit officiellement déclassée, la boussole du gouvernement en la matière ; laquelle, dans son élaboration, a englouti des ressources financières et matérielles et mobilisé des compétences aux expertises avérées et a bénéficié de l’accompagnement des partenaires. Sans oublier que c’est un régime à la légitimité démocratique attestée qui en a eu l’initiative et ça ce n’est pas rien.
Aux origines internationales de la crise sécuritaire au Sahel
Mais avant de revenir sur ce document, il faut faire remarquer d’abord que les événements malheureux que nous vivons ne sont pas des troubles mais une guerre cruelle qui nous est imposée à la faveur de phénomènes internationaux (chutes de Saddam Hussein en Irak et de Mouammar Kadhafi en Libye causées par les Occidentaux et couplées avec le chambardement des systèmes politiques et militaires de ces pays qui constituaient une sorte de bouclier contre la poussée des internationales terroristes vers le Sahara, le Sahel et le golfe de Guinée) auxquels nous sommes totalement étrangers. Cependant, certains différends mineurs inter/intracommunautaires et inter/intra-confessionnelles, le traitement dont sont victimes les communautés locales de la part des agents de l’Etat, la mauvaise répartition des richesses nationales, les différences entre les confessions religieuses, les nuances doctrinales à l’intérieur de certaines confessions religieuses et la pauvreté de grands pans de la population ont apporté leur part de raison dans cette guerre ; surtout que ces faits sont exploités et attisés par les têtes pensantes de l’Etat islamique au Sahel et Al Qaeda au Maghreb islamique pour mobiliser et recruter des combattants.
Qu’est-ce que le Premier ministre a fait de ses connaissances en relations internationales ?
Il est regrettable que le Premier ministre A. Kyélem qui est un docteur en droit, militant confirmé de gauche, avocat, directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (CRIS) et doté d’une culture générale dont on ne peut douter de la profondeur ne comprenne pas que nous menons une guerre asymétrique, comme le disent les stratèges militaires ; et qu’il ravale ce conflit au rang de simples troubles. Réellement, on perd son latin ! Ce qui est davantage incompréhensible, c’est que ce n’est pas la première fois que ce dernier fait preuve de légèreté dans l’appréciation de la situation de notre pays. C’est dans cette logique qu’il a dit à Moscou (Russie) le 08 décembre 2022 que la crise que nous traversons est conjoncturelle. Si cette situation que nous vivons est conjoncturelle alors que cela faisait déjà sept (07) ans que nous sommes à la recherche d’une solution, eh bien, nous nous devons de repartir à l’école pour revisiter nos connaissances lexicologiques et conceptuelles. Avec lui, il n’y a pas eu un sans deux. Espérons qu’il n’y en aura pas trois.
Ensuite concernant le document de stratégie en matière de réconciliation, il ne s’agit nullement de « réconciliation par le haut » car ce n’est pas seulement une question politique. Il y a, en plus, les aspects judiciaire et sociocommunautaire. Et même si c’était exclusivement entre les politiques, il faut avoir à l’esprit que derrière les politiques, il y a des citoyens qui sont soit des militants, soit des adhérents, soit des sympathisants, soit des électeurs, soit des adversaires.
Me Apollinaire Kyélem se fait-il réellement conseiller par ses collaborateurs ?
Ce n’est donc pas comme le pense Me Kyélem, une réconciliation par le haut, loin s’en faut. Si, en plus de cela, il croit qu’il s’agit, pour une réconciliation, « d’amener le peuple à se réconcilier avec lui-même et avec ses autorités », il dit, en partie ce qui est déjà contenu dans la stratégie et là il enfonce une porte déjà ouverte. « La réconciliation du peuple avec lui-même » est assimilable à la réconciliation sociocommunautaire. Quant à la réconciliation entre le peuple et « ses autorités », la stratégie en parle : il s’agit de l’amélioration de la gouvernance politique, administrative et économique.
Il aurait donc dû être plus mesuré dans ses propos surtout que non seulement la stratégie nationale de réconciliation existe (même s’il ne l’a peut-être pas lue) mais et surtout parce qu’elle a été initiée par un régime à la légitimité démocratique incontestée… C’est à se demander si, avant de prendre la parole, notre Premier ministre met à contribution ses collaborateurs dont la plupart brillent par leurs compétences. Mais ça, c’est une autre histoire.
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