Dans cette interview accordée par Monseigneur Paul Y. Ouédraogo, archevêque métropolitain de Bobo-Dioulasso à votre journal libertébf, Monseigneur fait des propositions pour un retour de la paix au Burkina.
Libertébf : Eminence, comment la population de Bobo a accueilli le retour de la semaine nationale de la culture (SNC) ?
Mgr Paul Ouédraogo : les Bobolais accueillent la Semaine nationale de la culture comme l’un des évènements majeurs. Bobo-Dioulasso reste la capitale économique du Burkina mais aussi la capitale culturelle dans la mesure où les éditions de la SNC au départ qui étaient itinérantes se sont maintenant stabilisées en prenant Bobo comme capitale. Les Bobolais sont toujours heureux tant les circonstances permettent de le vivre. C’est vrai que la semaine nationale de la culture 2023 se déroule dans un contexte très particulier pour notre pays avec cette guerre qu’on nous a imposée, et tout ce que ça demande comme effort de lutte, de résistance et de résilience. C’est vrai que ce sont des manifestations de résilience mais ça ne peut pas nous faire oublier que dans le pays il y a des zones où cela ne serait pas possible. Nous devons aussi avoir une pensée pour ceux qui ne peuvent pas participer à ce genre de manifestation et avec la même sérénité.
Libertébf : dans cette lutte contre le terrorisme, d’aucuns pensent que mettre l’accent sur la promotion de la culture serait un atout, quelle est votre appréciation ?
Msgr Paul Ouédraogo : la culture est ce que nous avons en commun et c’est aussi ce que nous avons en diversité. La culture est le fondamental qui reste en chacun de nous et qui marque notre identité. C’est vrai que la culture au niveau du Burkina nous fait ressentir les choses comme Burkinabè. Nous avons des manières différentes d’exprimer certaines choses qui, au fond, sont les mêmes. L’expression culturelle, c’est ça qui fait la diversité culturelle. Et la diversité culturelle est là pour enrichir la culture mais pas pour rentrer en compétition. La diversité est là pour enrichir le tableau ou chacun vient avec sa couleur spécifique pour embellir le tableau qui nous unit. Le souhaite est que nous ressentions réellement les choses avec ce qui fait la valeur des Burkinabè, c’est-à-dire leur capacité, leur volonté, leur honnêteté et leur intégrité à défendre leur dignité. Leur capacité d’accueillir l’autre comme étant leur frère, leur capacité à respecter l’autre dans sa différence, leur capacité à composer avec lui pour un vivre-ensemble plus harmonieux et à tisser à la fois des liens de solidarité et de tolérance et d’acceptation réciproque. Et c’est ça qui nous manque et nous devons mettre cela en relief à des occasions comme la SNC. Je souhaite que l’on comprenne que la diversité culturelle n’est pas là pour nous opposer mais elle est là pour embellir le tableau de la culture burkinabè.
Libertébf : comment se matérialise la tolérance religieuse et le dialogue intercommunautaire à Bobo-Dioulasso ?
Mgr Paul Ouédraogo : au niveau de Bobo-Dioulasso, je pense que la tolérance religieuse, le dialogue intercommunautaire et le dialogue interreligieux sont dans le quotidien des Bobolais. On n’est pas ensemble tous les jours mais pour résoudre certaines difficultés nous sommes toujours pour la concertation utile. Les communauté musulmane, catholique et protestante, les représentants du chef de canton et les autorités coutumières se mettent au tour d’une même table pour regarder un peu ce qu’on peut faire pour résoudre tel ou tel problème qui se pose à notre cité et à la région des Hauts-Bassins. Ces concertations sont assez fréquentes où nous arrivons à réaliser un certain nombre de choses ensemble. Et là, je crois que nous sommes déterminés à continuer sur ce chemin parce que plus on se parle et mieux on se comprend et mieux on est toujours en mesure de tisser de nouvelles relations pour une fraternité humaine. Le fait que nous sommes de cultures différentes, d’ethnies différentes, de religions différentes ne peut pas empêcher un cheminement humain dans la solidarité, dans l’acceptation réciproque, dans la concertation, pour toujours améliorer notre vivre-ensemble. Tout le monde en est convaincu et la seule manière de les réaliser c’est de prendre en compte ces manifestations qui nous mettent ensemble les uns avec les autres pour une concertation commune et pour une décision concertée.
Libertébf : votre message à l’endroit du peuple Burkinabè
Mgr Paul Ouédraogo : s’il y a un message à livrer au peuple burkinabè c’est un appel tout simplement à prendre au sérieux la situation de notre pays, de la prendre au sérieux du fait que son avenir dépend de nous et des décisions que nous allons prendre et des chemins sur lesquels nous allons nous engager soient des chemins de solidarité, de vérité, d’acceptation réciproque et des chemins de tolérance et de justice pour la paix. Et il faut prendre au sérieux aussi l’agression qui est là. Ça signifie tout simplement que tout le monde n’est pas heureux de nous voir réussir dans les voies que nous voulons tracées et s’y s’oppose. Nous devons donc prendre au sérieux cette agression. Et peut-être apprendre à la gérer en nous posant toujours la question de savoir si ce que nous disons, ce que nous faisons et ce que nous organisons rend service à nos agresseurs ou renforce notre lutte pour la récupération de notre territoire. Il faut que chacun accepte à son niveau de faire son autocritique et apporte sa contribution à tout ce qui favorise la récupération de notre territoire et un meilleur vivre-ensemble. Peut-être aussi que nous devons prendre un peu de distance avec tout ce qui pourrait servir plus à l’agresseur qu’à nous même. Je prends exemple sur la communication. A chaque fois, nous devons nous poser la question à savoir si je diffuse cette information, elle rend service à mon pays ou à l’agresseur. Vous savez que la communication en temps de guerre ne peut pas se gérer comme en situation de paix. Les communicateurs doivent se former à ce niveau. Il y a la communication en temps de paix et la communication en temps de paix. Ce ne sont pas des problèmes de musellement mais ce sont des problèmes de cohérence pour être en harmonie et ne pas tirer, chacun de son côté pour rendre plus difficile les solutions que l’on envisage pour sortir le pays de la situation. Il faut que nous acceptions de nous écouter et de nous concerter et surtout que nous tirions tous dans le même sens. Ce n’est pas en nous tuant entre nous, ce n’est pas en nous déchirant entre nous que ce soit par la violence expressive que ce soit par la violence communicationnelle que nous pourrons remporter victoire sur les forces du mal, parvenir à la paix et envisager un avenir radieux pour le Burkina Faso. Je souhaite que Dieu qui, réellement, travaille les cœurs et peut travailler dans les cœurs, retourne le cœur des Burkinabè pour augmenter en eux l’amour de leur pays et les amener à se mettre un peu plus au service de ce pays.
Interview réalisée par Wendmanegré OUEDRAOGO